Certaines saveurs émettent comme un code, il y a un « je ne sais quoi » qui intervient entre la papille, le cerveau et l’âme et nous plonge dans un état… produisant tantôt une simple sensation et tantôt ouvrant la porte vers un tout autre monde. Comme si dans un effluve se cachait une autre histoire, une autre réalité ou la voie vers un secret de la nature. Dans notre monde moderne, le lien entre la nature et notre assiette a pratiquement disparue alors quand ce codage divin se manifeste, c’est pour moi précieux. Ne vous inquiétez pas, je ne parle pas d’une nouvelle religion, aucune intention de créer un culte de l’épice, un dogme de l’assaisonnement ou un rite de l’aromate… mais rendre un petit hommage à une forêt qui fait naître autant de saveurs, peut-être ;-)
Pour moi, une de ses saveurs « parlantes » est celle de la
baie de genièvre ou baie de genévrier. Une épice négligée à mon avis,
probablement parce qu’on la connait peu. Pourtant c’est loin d’être une
nouvelle découverte, le genévrier est utilisé depuis des milliers d’année en
cuisine et en pharmacopée. Il fut même une époque où on utilisait son huile
comme désinfectant, le genévrier était le « Lysol » de l’Antiquité et
on en fumigeait allègrement les villes pour protéger la population de la peste
et le choléra. Plus tard, au moyen-âge, un vin de baie de genévrier a vu le
jour et servait à la fois de remède, de digestif et de tonique. L’élixir se
raffine avec le temps pour donner le gin qu’on connait aujourd’hui qui date de
l’époque médiéval. On en donnait alors
aux soldats avant les batailles pour leur donner du courage, c’est de là que viendrait l’expression « liquid courage ».
Si vous avez déjà goûté à du gin ou du dry gin, vous avez goûté la baie
de genièvre puisque ça en est l’arôme prédominant. Une saveur âpre,
astringente, très parfumée, florale et résineuse. Un arôme distinctif et
puissant qui se marie harmonieusement aux agrumes, aux fruits rouges, aux
gibiers, aux mets gras, viande et poissons fumés et aux champignons. À l’époque
où les épices étaient rares et dispendieuses en Europe, la baie de genièvre
remplaçait le poivre. Ici, en Amérique, la baie de genièvre jouait un rôle
important dans la culture amérindienne, comme épice et surtout comme remède, on en
faisait un thé qui guérissait entre autres la grippe et les infections
urinaires et servait de tonique ou à provoquer l’accouchement (la consommation
de baies ou d’huile de genévrier est d'ailleurs encore fortement déconseillée aux femmes
enceintes.).
Trèves d’histoire, parlons de goût! De nos jours en cuisine, la baie de
genièvre est principalement utilisée dans la choucroute et dans les plats de
gibiers. Ses tanins et sa composition chimique facilitent la digestion des gras
et ont aussi pour effet d’adoucir le goût des viandes sauvages. Elle est encore
très présente dans la cuisine scandinave. Malheureusement, au Québec elle est
très peu connue et utilisée. Certaines espèces de genévrier poussent ici à
l’état sauvage si la cueillette vous intéresse, mais il est aussi relativement
facile de se procurer des baies que vous trouverez au rayon des épices de la
plupart des épiceries.
Si vous êtes aventureux, croquez-la, il paraît que c’est super bon pour
la santé et l’haleine. Ce qui m’a surtout frappé c’est l’intensité de la chose…
définitivement une expérience tonique! C’est comme claquer des doigts et se
retrouver dans au milieu du bois, en région inexplorée! Pour en apprécier la saveur de
façon plus nuancée, c’est un bon ajout à vos marinades et ragoûts. Je vous
propose quelques recettes pour l’apprivoiser: un vin chaud aux épices
aussi appelé un hypocras (parfait pour ceux qui reviennent de jouer dehors ou
de pelleter), des poitrines de poulet toniques au citron et à la baie de
genièvre et un givrage sucré orange et genévrier!
On commence par un petit apéro pour se réchauffer, en rentrant du ski
ou encore pour se préparer pour le carnaval! L’idée de boire du vin chaud était
pour moi étrange, je sais que c’est une tradition d’hiver dans plusieurs pays
d’Europe, mais je n’étais pas convaincue. Quelle découverte! C’est comme si on
combinait le réconfort du chocolat chaud avec l’exotisme du thé tchai et qu’on
y ajoutait une petite touche suave de vin rouge… j’adore ça, c’est ma sangria
d’hiver! Pour ceux qui ne sont pas amateurs de vin rouge, vous pourriez faire
la même recette avec du cidre. Je partage ici ma recette pour vous donner une
base, adaptez là à vos goûts, changez les épices et ajustez la quantité de
sucre.
Sangria hivernale (vin chaud aux
épices)
- 1 1/2 tasse de vin rouge (pas un grand crû, mais quelque chose de buvable quand même)
- 2 c. à table de miel (ou sucre ou sirop d’érable)
- 4 c. à table de jus de clémentine
- 1 bâton de cannelle
- 1 morceau de zeste d’agrume
- 1 clou de girofle
- 2 morceaux de mace (écorce de la noix de muscade)
- 8 baies de genièvre écrasées
- 1 anis étoilée (badiane)
- 1 petit morceau de gingembre confit
Mélangez les épices, le jus et le miel et portez à ébullition. Réduisez
le feu et ajoutez le vin. Laissez infuser à feu doux (ça ne doit pas bouillir)
quelques minutes. Plus vous laisserez infuser longtemps, plus la saveur des
épices sera prononcée et vous aurez en prime une expérience d’aromathérapie
dans la maison! Servez chaud. Si vous aimez l’idée d’un breuvage chaud mais ne
voulez pas d’alcool, facile : ajoutez quelques baies écrasées dans votre
chocolat chaud ou votre tasse de thé (avec le Earl grey c'est particulièrement bon).
On poursuit avec un petit assaisonnement rapide qui convient aux
volailles, au porc ou aux poissons. Je l’appelle tonique parce qu’elle plaira
aux amateurs de gin tonique puisqu’elle utilise les mêmes arômes.
Poulet tonique
Préchauffez le four à 350F. Assaisonnez le poulet avec les baies, du
sel et du poivre et faites dorer à feu élevé dans une poêle. Quand le premier
côté est bien grillé, retournez le poulet, arrosez du jus de citron, mettez un
couvercle ou un papier d’aluminium et enfournez pour 8 à 10 minutes selon
l’épaisseur du morceau. Sortez du four, saupoudrez d’un peu de zeste de citron
râpé et laissez reposer 3 à 4 minutes avant de servir. Ça donne du pep au
poulet! :)
Au royaume des épices, toutes ne sont pas égales, les saveurs n’aiment
pas toutes le sucre et le sel. La baie de genièvre a cette polyvalence et elle
embrasse volontiers le miel, les agrumes, le chocolat, le thé, les canneberges,
les cerises… les combinaisons sont donc nombreuses. givrage
orange et genièvre
Un petit assemblage facile,
rapide et polyvalent :
Faites fondre 2 bonnes cuillères de marmelade, ajoutez 1 c. à thé de crème et 3 ou 4 baies de genièvre broyées finement. Ajoutez ensuite du
sucre en poudre jusqu’à la consistance désirée. Étaler généreusement sur les
gâteaux, galettes, beignes, crêpes…. Agrémenté d’un peu de crème fouettée c’est
divin!
J’espère vous avoir donné envie de goûter la baie de genièvre… aromatique,
vive, surprenante et délicieuse!
Bon régal et bonne découverte!
Soyez donc un gourmand intelligent!
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